Dire que l’histoire de la seigneurie de Vulaines commence en 1716 est bien sûr erroné mais c’est à cette date qu’elle devient une seigneurie indépendante dont on peut suivre l’histoire jusqu’à la fin de toutes les seigneuries, en août 1789.
Vulaines faisait partie de la baronnie d’Héricy qui elle même n’existait que depuis 1566, auparavant les terres de Vulaines et d’Héricy relevaient directement de la Couronne, c’est à dire que le seigneur en était le roi.
En 1680 la baronnie d’Héricy ainsi que le comté de Graville échurent à Jean Édouard de Poussemothe de L’Estoile qui rédigea en 1688 son « Adveu au roy », c’est à dire la description des seigneuries qu’il tenait directement du roi et des droits qui leur étaient attachés. Décrivant sa baronnie d’Héricy, il précise :
«… Item dépend de ma dite baronnie la paroisse de Vulaine, laquelle m’appartient entièrement en syrie directe ou féodalle,
Item, en qualité de Syr de Vulaine, j’ai droit aussi bien que mes habitans dudit lieu, de pasturage dans les bois de Samoreau… suivant les lettres de 1317,
Dans lesquels lieux cy-dessus j’ay les droits de haute moyenne et basse justice, grande voierie, cens, rentes, redevances, montant à environ 300 ll [livres] lods, ventes, deffauts, saisines, amandes, confiscations, aubaines, espaves etc. à l’exception néanmoins des cens et de la justice censitaire de ma paroisse de Vulaines que j’ay abandonnée au Sieur du Pont de Compiègne, capitaine des Oyseaux de la Chambre de Vostre Majesté. »
Depuis le Moyen Age jusqu’à la Révolution, toutes les terres sauf quelques très rares exceptions, font partie d’une Seigneurie. Cette institution a des origines complexes à la fois vassaliques et féodales. Pour faire bref disons que les terres de chaque village appartenait à un grand propriétaire, il y exploitait directement un domaine assez vaste et distribuait le reste en parcelles ou tenures aux paysans, mais ces tenures qui vont devenir la propriété de leurs tenanciers gardent un lien avec le grand propriétaire. Il prélève des taxes en nature sur les récoltes, quelques taxes en argent, et parfois du travail gratuit (corvées). Parallèlement le pouvoir royal donne à ces grands propriétaires, en échange de leur service armé, des pouvoirs d’encadrement qui lui appartenaient notamment celui de la justice. Ces pouvoirs se distribuent selon une pyramide de vassalité, chaque seigneur étant le vassal d’un autre, cette vassalité se concrétise par une cérémonie d’hommage où le seigneur vassal se déclare « l’homme » de son seigneur éminent … Avec le développement du pouvoir royal jusqu’à la monarchie absolue, ce système perd toute fonctionnalité mais subsiste. Le seigneur garde quelques droits sur les hommes et terres de son village, il rend encore la justice rurale, il garde surtout son prestige et des droits honorifiques, mais la seigneurie devient un « bien », que l’on vend et achète comme un autre, la seigneurie peut même être achetée par un roturier.
En mars 1716 le comte de Graville, baron d’Héricy se sépare, par vente, de la seigneurie de Vulaines, « à condition que cette terre relève en plein fief, foi et hommage de la baronnie d’Ericy ». Cette nouvelle seigneurie est importante puisqu’elle s’étend sur tout le territoire de la paroisse de Vulaines et qu’elle possède « droit de haute, moyenne et basse justice ».
Une histoire d’un petit siècle commence, celle de la seigneurie de Vulaines.
L’acquéreur de ce fief est un homme important et qui va devenir célèbre, Robert de Cotte, premier architecte du Roi . Ainsi l’histoire de la seigneurie de Vulaines se greffe d’emblée sur celle du Roi à Fontainebleau. Car si la famille de Cotte a des origines près de Lagny, il s’agit avant tout d’une famille d’architectes travaillant pour le Roi et suivant ses chantiers ou ses résidences.
Les frères de Cotte, Robert né en 1656, et Louis en 1665, sont fils et petits-fils d’architectes, leur grand-père a même laissé un traité de cet art. Les architectes forment un milieu assez fermé où les solidarités familiales jouent à plein. Robert de Cotte a épousé Catherine Bodin, belle-sœur du grand Hardouin-Mansart , et à sa mort en 1708, il hérite de la charge de « conseiller du roi et son 1er architecte, intendant général des bâtiments jardins arts et manufactures de France». Cette charge lui fournit 25 000 livres de gages. Anobli depuis 1702, Robert de Cotte devient chevalier de St Michel, et demeure désormais dans un appartement de fonction « à Paris rue des Orties paroisse St Germain l’Auxerrois ». Il ne s’agit rien de moins que de la Galerie du Louvre où Henri IV a fait réserver pour les grands artistes, une vingtaine logements prestigieux mais peu salubres. Aussi en homme d’affaires avisé, Robert de Cotte avait déjà spéculé sur des terrains parisiens et s’était fait élever une belle maison au coin de la rue du Bac et de la rue d’Orsay.
C’est donc un homme en pleine ascension sociale qui achète le 25 mars 1716, la petite seigneurie de Vulaines, le contrat de vente est rédigé par un notaire parisien et le nouveau seigneur est reconnu au mois de mai par Lettres patentes « signées Louis contresignées pour le roi le duc d’Orléans qui signe Philippe » . Cette seigneurie n’avait sans doute pas une très grande importance pour lui, elle s’ajoutait sans doute à d’autres, et comme Robert de Cotte devenait un architecte à la mode dont les commandes affluaient et qui allait se déplacer de plus en plus en province et en Allemagne, on peut comprendre qu’il revende la seigneurie de Vulaines, à son frère, dès le 20 octobre 1719.
Louis de Cotte (1665-1749), cadet de neuf ans de Robert, a travaillé avec lui sous les ordres d’Hardouin-Mansart à la construction du château de Marly. A partir de 1705 il est «contrôleur» à Fontainebleau et le restera jusqu’à sa mort en mars 1749. Le Contrôleur exécute les travaux prescrits par le premier architecte, mais ce n’est pas un simple exécutant car il doit tenir compte des constructions existantes et du calendrier des présences royales. Il surveille les ouvriers et artistes dont beaucoup viennent de Paris. Il reçoit 2 000 écus par an et quelques bénéfices en plus du logement. A Fontainebleau ce dernier se trouve à l’hôtel de Guise chez le premier architecte, en l’occurrence son frère. Mais comme il s’agit d’une charge liée à la demeure royale et qui nécessite résidence à l’année, Louis préfère sans doute vivre dans une maison lui appartenant et c’est ce qui explique l’achat qu’il a fait en janvier 1716 à Vulaines.
Messire Louis de Cotte « contrôleur des bâtiments du roi à Fontainebleau, capitaine au régiment de Navarre, demeurant à Paris cul de sac de la rue du Coq [actuellement rue Marengo près St Honoré] paroisse St Germain l’Auxerrois » achète un «corps de logis avec aile en retour … au rez-de-chaussée, et un étage au dessus, cour, écurie, remises, volets » et une ferme consistant en « un logement pour le fermier, écurie, vacherie, bergerie, grange … cour, jardin, clos devant les dits lieux de l’autre coté de la rue dudit Vullaines avec quatre vingt dix arpents de terre labourable, deux arpents de prés et deux arpents de vigne, le tout en différentes pièces situées sur le finage de Vullaines et environs ». Le bien appartenait à un certain Jean Deshayes et sa femme Paule Hermieux, de Fontainebleau, et leur fils ayant servi d’intermédiaire, il est précisé qu’il recevra 300 livres « de pot de vin » sur le prix total de 6 300 livres.
Comme nous ne sommes qu’en janvier 1716, la propriété de Louis de Cotte est encore une « censive du comte de Graville » c’est à dire une terre roturière qui doit des droits (le cens) à son seigneur, mais dès mars elle devient censive du nouveau seigneur de Vulaines, son frère Robert de Cotte. Ainsi Vulaines a désormais un seigneur en propre et qui a tous les droits traditionnels sur l’ensemble de la paroisse, mais qui ne possède pas le seul domaine foncier important de cette paroisse ! Tout rentre enfin dans l’ordre en octobre 1719 quand Robert vend sa seigneurie à Louis . Désormais seigneurie et domaine seront toujours liés jusqu’à la fin du système seigneurial.
Louis de Cotte aurait pu s’installer à Vulaines, y construire un grand château et y faire souche. Tout s’y prêtait puisque sa carrière se développait, devenu architecte de seconde classe en 1718, anobli en mai 1721, il passera dans la première classe en 1725 et sera reçu à l’Académie d’architecture la même année. Est-ce cette réussite qui le fait changer de seigneurie ? Le fait est qu’en 1720 il achète sur la paroisse d’Héricy, le domaine et seigneurie de l’Espinard et qu’en octobre 1721 il vend domaine et seigneurie de Vulaines à un certain Thomas Bille, écuyer. A noter qu’il aurait pu disjoindre seigneurie et résidence, l’exemple est donné par Stoppa, le colonel des Gardes Suisses qui est seigneur de Fontaineroux mais qui fait construire le château d’Héricy (actuelle mairie) sur la seigneurie du comte de Graville, dont il est sans doute le vassal.
Et désormais la seigneurie de Vulaines va passer de mains en mains.
Six seigneurs de Vulaines se succèdent de 1721 à 1789, ce sont Thomas Bille d’octobre 1721 à octobre 1738, Jean Labiche de cette date à février 1754, puis le comte Michel de Thianges jusqu’en octobre 1765, François Duport de 1765 à janvier 1777, Paul Delpech de Montreau puis son épouse de 1777 à 1782 et enfin Saint Louis Guindant jusqu’à sa mort en mai 1789. Cela fait en moyenne un peu plus de onze ans pour chaque seigneur, ce sont les deux premiers qui gardent la seigneurie le plus longtemps, respectivement pendant dix-sept et seize ans, et ce sont les deux derniers qui la gardent le moins, cinq puis sept ans, mais dans les deux cas c’est la mort qui oblige au changement.
Qui sont ces seigneurs de Vulaines ?
Si nous connaissons toujours leurs identités elles restent cependant toujours un peu abstraites. Sauf Jean Labiche, tous les seigneurs font partie de la noblesse du roi mais à des degrés très divers.
Le seul noble titré est le comte Michel de Thianges. Ce titre comtal, dont le nom provient d’une paroisse du Nivernais, Thianges, appartenait à l’une des plus grandes familles d’Auvergne, la maison de Villelume. Cette vielle maison qui remonte au XIVème s. et qui existe toujours, a donné de nombreuses branches et le dernier comte de Thianges s’est éteint en 1800, mais nous n’avons jamais réussi à identifier ce « haut et puissant seigneur Messire Michel … seigneur de Vulaines ».
Les autres seigneurs, Thomas Bille et Saint-Louis Guindant, sont de simples écuyers, ou des chevaliers pour François Duport et Paul Delpech. Cette petite noblesse est celle des offices du roi, soit que l’office entraîne l’anoblissement, soit que l’officier puisse acheter un brevet de secrétaire du roi, qui est anoblissant. Ce sont les offices judiciaires et notamment ceux du Parlement de Paris qui permettent le mieux cette ascension sociale, et la seigneurie de Vulaines en fournit deux beaux exemples.
Les Delpech sont originaires de Caussade en Quercy où leur ancêtre était maréchal-ferrant en 1650. Mais en 1679 le fils, receveur général des finances d’Auvergne, devient secrétaire du roi et donc chevalier. Le petit-fils conseiller au Parlement de Paris sera fait marquis en 1709, mais à titre personnel, et ses enfants, dont notre Paul Marie Delpech de Montreau , eux aussi conseillers au Parlement, ne sont que chevaliers.
Les Duport ont connu une ascension semblable mais leur origine est liée à la faveur des princes. Le grand-père de notre François Mathieu Duport était « porte-manteau » de Monsieur, le frère de Louis XIV. Son père était conseiller au Parlement, secrétaire du roi et chevalier. Le seigneur de Vulaines est lui aussi conseiller du Parlement et chevalier mais il deviendra ensuite baron d’Anglure et Président de l’une des Chambres de ce Parlement. Ce qui lui vaudra de finir sur l’échafaud en 1794. Et ce malgré, ou à cause de son fils, Adrien François Duport, lui aussi Conseiller au Parlement et surtout député de la noblesse de Paris en 1789, et ensuite Constituant célèbre.
La seigneurie de Vulaines est donc exemplaire comme échelon dans l’ascension des honneurs, mais l’un des premiers échelons, c’est pourquoi on comprend mal qu’elle ait pu appartenir à un aristocrate comme le comte de Thianges. Par contre l’exemple du dernier seigneur, Saint Louis Guindant est tout à fait éclairant.
Les parents de notre Saint (sic) Louis Guindant sont propriétaires à Vierzon, d’une maison, de quelques parcelles de terre et de deux domaines dans les environs. Le tout sera estimé 33 200 livres à la mort du père en 1783 , il faut y ajouter des rentes « au denier vingt », c’est à dire à 5%, pour un capital de 27 000 livres. Donc bien peu, il faut dire que Charles Guindant est docteur en médecine, « noble homme, conseiller du Roi et médecin de ses hopitaux en Berry », et que les occasions de s’enrichir sont nettement moins fréquentes que dans les « affaires du roi ».
Les deux fils Guindant cherchent donc eux aussi à vivre du leur, Nicolas en partant à Saint-Domingue et Saint Louis en devenant docteur en médecine. Il réussit fort bien, et mieux que son père, puisqu’à son mariage, à 43 ans, il est « docteur régent des facultés de médecine de Paris et de Montpellier, membre de la Société royale des sciences de Montpellier, membre du colège de médecine et des sociétés royales de phisique et d’agriculture d’Orléans, censeur royal » mais il est très fier d’y faire ajouter « écuyer, seigneur haut moyen & bas justicier de la terre et Prévôté de Vulaine en Brie ». Et c’est peut-être la possession de cette seigneurie de Vulaines, première marche vers une grande position, qui permet à notre médecin de faire un beau mariage.
Car le mariage est impressionnant non tant par l’état de la demoiselle, Amable Louise Desprez, issue seulement d’une « famille très honorable de Paris », encore que le beau-père, secrétaire du roi depuis 1761, vive de ses rentes et puisse offrir une dot de 80 000 livres « en avancement d’hoirie » et surtout payées en espèces… mais surtout impressionnant par la liste des signataires du contrat qui ont voulu ainsi honorer la famille. On y trouve « Mgr Armand Hue de Miromesnil, garde des Sceaux » deux marquis dont celui de Chatellux, « maréchal des camps, l’un des quarante de l’académie française et des académies de Bordeaux et Philadelphie », plusieurs autres nobles titrés ou grandes dames, et une pléiade de procureurs, parents « à la mode de Bretagne » de la famille Desprez, alors que le marié n’est accompagné que de deux médecins, deux notaires et un officier de dragons !
Les seigneurs et leurs épouses
Ce mariage Guindant-Desprez est l’occasion de dire un mot des épouses des seigneurs de Vulaines. Les actes notariés les mentionnent toujours car l’achat de la seigneurie se fait sous le régime de la communauté. Ces épouses sont difficiles à cerner mais on peut essayer de comparer leur situation sociale et honorifique à celle de leurs maris.
L’ascension financière par les mariages est célèbre, pour la grande noblesse mâle le fait de se marier avec des filles de familles bien argentées, est banal. Le seul cas concernant Vulaines serait celui du comte de Thianges dont l’épouse une certaine Nicole Julie Poete ne semble pas noble, mais pas très argentée non plus.
L’ascension honorifique est plus difficile à comprendre, pour un homme issu d’une famille bourgeoise ou de petite noblesse, épouser une femme de plus haute naissance est un moyen de s’allier à une famille dont les parents sont mieux placés ou plus influents que lui.
Les de Cotte semblent en être un exemple puisque si Robert de Cotte succède au grand Hardouin-Mansart, c’est en tant qu’excellent architecte, mais le fait qu’il soit son beau-frère n’est pas un mince avantage, cependant nous sommes ici dans le cas d’un réseau professionnel. Le cas de Jean Labiche, bourgeois de Paris, est peut-être plus probant, car nous savons que ce seigneur qui est le seul à ne pas être noble, a épousé en 1726 Marie Josèphe Jeanfiltz dont le parrain était Thomas Bille, écuyer et seigneur de Vulaines.
Le seul bon exemple nous est fourni par Paul Delpech de Montreau qui, veuf d’une certaine Marie Pajot, se remarie avec Anne Marie de Montigny de Congis. Cette dame est issue d’une famille de Brie, cas assez rare dans notre échantillon, famille de panetiers du roi, seigneurs de Montigny en Brie, qui prirent le surnom de Boulanger en 1442, suite à une importante livraison de farine ! Les descendants sont devenus officiers militaires et marquis de Congis (il y a un Congis sur Therouanne en Seine et Marne), et Anne Marie est la fille d’Henri Montigny, marquis de Congis, capitaine au régiment des Gardes françaises, elle a un frère Isidore Le Boulanger de Montigny, maître des requêtes. Ce remariage permet donc à Paul Delpech de Montreau d’avoir des alliés dans une famille plus ancienne, même si l’absence d’enfant issu de ce lit limite l’ascension.
La seigneurie de Vulaines a donc comme le mariage une fonction sociale et le docteur Guindant a pris des risques en l’acquérant à crédit, mais il pense asseoir sa future famille sur du solide. Ce en quoi il se trompe puisque le 4 août 1789 les seigneuries disparaîtront au cours d’une nuit mémorable, et avec elles une partie non négligeable de son capital et la totalité de ses honneurs et privilèges. Mais mort brutalement le 31 mai 1789, Saint Louis Guindant n’était plus là pour le déplorer, ou se réjouir des temps nouveaux.
Les seigneurs de Vulaines sont vassaux de ceux d’Héricy
La seigneurie est un bien que l’on achète ou dont on hérite comme de n’importe quel bien mais avec cette différence majeure qu’elle se fonde sur des liens personnels de vassalité. Souvenons nous qu’en 1716 le comte de Graville vend la seigneurie de Vulaines « à condition que cette terre relève en plein fief, foi et hommage de la baronnie d’Ericy ». Ces liens ont beaucoup évolué pendant le quasi millénaire de leur existence et au XVIIIème s. ils sont très formalisés. Comment cela se manifeste-t-il ?
Contrairement à un acte de vente ordinaire ne mettant en scène que le vendeur et l ‘acheteur, un troisième personnage apparaît ici, le seigneur éminent, en l’espèce le baron d’Héricy, qui à l’origine a «donné» la seigneurie de Vulaines à celui qui par ce fait est devenu son vassal. Aussi, après avoir acheté à son prédécesseur la seigneurie et le domaine, le nouveau propriétaire n’est pas pour autant libéré de ses obligations, il doit reconnaître le baron d’Héricy comme son seigneur et lui payer les droits prescrits à savoir « la somme de 3 000 livres pour chaque mutation par vente échange ou rente rachetable et dans le cas de chacune autre mutation par succession donation ou autrement qu’il soit payé pour le droit de relief et 1500 livres à l’exception de la mutation masculine de père à fils » [texte cité dans l’inventaire de 1789].
La mutation de père à fils ne dispenserait pas de la cérémonie au cours de laquelle le vassal présente sa foi et son hommage à son seigneur, cependant pour Vulaines comme la seigneurie est toujours transmise par vente, la cérémonie sera toujours accompagnée des 3 000 livres de droits de mutation dits de relief.
Nous connaissons trois de ces « foi et hommage portés » au baron d’Héricy, celui du 25 septembre 1722 porté par Thomas Bille, celui du 13 mars 1754 porté par le comte Michel de Thianges et celui du 29 avril 1777 porté par Paul Delpech de Montreau, on voit ainsi qu’il se passe entre un mois et presque un an entre l’achat et la reconnaissance de vassalité.
Au XVIIIème s. les termes traditionnels restent en vigueur mais il ne convient plus de parler de cérémonie, le vassal ne met plus ses mains dans celles de son seigneur et ils n’échangent plus le baiser rituel. Le vassal se rend seulement, en compagnie de son notaire, à la demeure de son seigneur, ou plus prosaïquement chez le fondé de pouvoir de ce dernier, et le notaire du vassal rédige l’acte de foi et hommage. Cependant le texte transcrit ci-dessous garde quelques relents des gestes du passé.
«… le 13 mars 1753 haut et puissant Seigneur Mre Michel Comte de Thianges Seigneur de Vulaines… s’est transporté rue des Marais paroisse St Sulpice en l’hôtel de haute et puissante dame Catherine Olive De la Salle épouse de…haut et puissant Seigneur Jean Georges Vicomte de Talleyrand de Périgord … et auparavant veuve de Mre Charles de Poussemothe de Létoile comte de Graville baron d’Héricy Seigneur du Mesnil et autres lieux…
Où étant et parlant à ladite dame… à ce presenté et a dit que par contrat passé devant Me Renard… il a acquis la Terre et Seigneurie de Vulaines relevant en plein fief foy et homage de la dte Baronnie d’Héricy
Que désirant porter la ditte foy et homage qu’il doit à cause de la ditte Seigneurie de Vulaines il requiert la ditte dame de vouloir bien l’y recevoir et le dispenser pour cette fois cy seulement de la faire porter sur les lieux, ce que la ditte dame ayant volontairement accepté sans tirer à conséquence pour l’avenir le Seigneur Comte de Thianges s’est mis en devoir de Vassal suivant la coutume
…Et par ces mêmes présentes la ditte dame reconnaît que de son consentement le Seigneur Comte de Thianges a présentement payé… la Somme de Trois mille Livres pour les droits seigneuriaux dus … à cause de l’acquisition par lui faite de la ditte terre de Vulaines, le tout conformément au contrat d’aliénation et inféodation de la ditte terre du jour vingt cinq mars mil sept cent seize… »
Seigneurs et villageois
Quels rapports entretenaient les seigneurs de Vulaines avec le village ?
Tous les seigneurs ont un même point commun, ce ne sont pas des résidents, Vulaines est pour eux une « campagne » plus ou moins lointaine. Les premiers seigneurs les frères de Cotte puis Thomas Bille sont des voisins puisque leurs offices les font résider à Fontainebleau, même s’ils possèdent ou occupent un appartement à Paris comme nous l’avons vu pour Robert de Cotte, et cela est vrai aussi pour les deux autres. Le plus enraciné est sans doute Thomas Bille qui fait rédiger l’acte d’achat par Me Tribout notaire à Fontainebleau alors que tous les autres actes notariés sont parisiens. C’est Jean Labiche qui habite le plus loin puisqu’il est dit résident à Metz lors de l’achat en 1738 et à Saint-Avold près de Sarrelouis lors de la vente en 1754, vente pour laquelle il donne d’ailleurs pouvoir à sa femme, Marie Josèphe Jeanfiltz. C’est assez cocasse puisqu’il est le seul à s’être marié à Vulaines et qu’il se soit déclaré bourgeois de Paris à cette occasion.
A part le comte de Thianges dont nous ne savons rien mais que nous pouvons imaginer passant à Vulaines lorsque le roi Louis XV est à Fontainebleau, tous les ans ou presque au moment des chasses d’octobre, les autres seigneurs sont des Parisiens retenus dans la capitale par leurs offices parlementaires et qui ne doivent venir à Vulaines que bien rarement et plus pour affaire que pour les chasses royales. Encore que l’âge aidant on puisse se retirer dans une demeure rurale, et c’est ainsi que le registre paroissial note que « Madame Marie Anne Decongy âgée d’environ 72 ans est inhumée au cimetière de Vulaines » le 23 septembre 1780, il s’agit d’Anne de Montigny de Congis veuve de Paul Delpech de Montreau, seigneur depuis 1777 mais sa présence s’explique peut-être par le fait qu’elle soit originaire de la région. Et puis il y a les passages impromptus qui peuvent tourner au drame, c’est ce qui arrive à Saint Louis Guindant qui ayant laissé à Paris sa jeune femme et leur petite fille Pulchérie, âgée de 22 mois, meurt brutalement à Vulaines le 29 mai 1789 et est inhumé dans le petit cimetière paroissial le surlendemain 31 sans qu’aucun membre de la famille soit présent.
Puisque les seigneurs présents sont rares, c’est donc la vie de Thomas Bille seigneur de Vulaines entre 1721 et 1738 qu’il nous faut essayer d’évoquer.
Bille officier des chasses de la capitainerie royale de Fontainebleau, doit rester à proximité du palais et exercer ses fonctions surtout au moment où le roi y vient pour chasser à l’automne. Cela explique qu’il passe une grande partie de l’année à Vulaines et qu’on puisse le retrouver dans les actes des registres paroissiaux. Le 7 fev 1727 son épouse, Jeanne André de Saint Jean, est marraine du petit Jacques Gervais qui vient de naître, en novembre1732 c’est lui qui est témoin au mariage d’ Estienne Gervais et de Marie Hélène Verneau. C’est aussi sa vie personnelle qui se passe ici puisque le 7 mai 1725, Jean Labiche, fils d’un bourgeois de Paris, épouse à Vulaines Marie Josèphe Jeanfilts dont le parrain est Thomas Bille, personne n’a d’attache au village et c’est donc lui qui l’a organisé, c’est d’ailleurs ce Jean Labiche qui lui succèdera comme seigneur en 1738. Enfin le 8 avril 1733 c’est la sépulture de son épouse, « dame Jeanne André Chauvin âgée d’environ 53 ans » dans le cimetière de Vulaines.
Thomas Bille comme seigneur de Vulaines a droit de justice mais le temps de la justice seigneuriale est passé, celle du roi est prééminente depuis longtemps et comme les amendes rapportent sans doute moins que les frais de justice que le seigneur doit engager, les audiences et sentences sont rares.
Les archives départementales conservent le « registre des causes d’audiences de la justice et prévosté de Vulaines ». On trouve sept cahiers et quelques feuillets pour une période allant de 1725 à 1786, mais les quatre premiers qui sont les plus gros concernent les années 1725 à 1735 et les cinquième et sixième cahiers les années 1738 à 1752, ce qui montre que c’est pendant la seigneurie de Thomas Bille que le registre a été le mieux tenu et que la justice a été le plus souvent rendue. Le personnel judiciaire se compose d’un prévôt, d’un procureur fiscal assistés d’un greffier et d’un sergent. Le prévôt qui préside les audiences et signe tous les actes n’est autre que le « gouverneur du roy de la prévosté de Fontainebleau » à savoir Maître Louis Chabouillé dont la famille occupera cet office pendant longtemps. Le procureur fiscal est plus changeant puisque Philippe Henry, Nicolas Leblanc, Denis Luneau et un certain Boucher s’y succèdent. Philippe Henry est pendant quelques années procureur-greffier et aussi tabellion à Héricy, où il sera suivi par les Chevrier, notaires de pères en fils. On voit ainsi apparaître un petit groupe de notables de la plume, à cheval sur plusieurs paroisses et seigneuries et qui sont en relation encore étroite avec le monde agricole, celui de la vigne ici.
Les audiences ont lieu presque toujours le mardi à 10 heures, on en trouve 6 pour chacune des années 1725 et 1726, puis 14 pour 1727 et 15 pour 1725 ensuite les séries sont discontinues. La répartition mensuelle est très irrégulière d’une année sur l’autre cependant les mois de mai et juin apparaissent chargés, ainsi que septembre et décembre et il y en a même une le 31 décembre 1728. La lecture de ces actes est difficile et fastidieuse, il s’agit de juger les querelles de voisins et les infractions aux règlements notamment ceux concernant la date du début des vendanges.
Le seigneur qui est grand propriétaire a aussi des relations comme tel avec les paysans de Vulaines, mais c’est une autre histoire que nous évoquerons prochainement à l’occasion de la description du village en 1717.