Pourquoi cette date ?
Parce que nous disposons d’un document exceptionnel, « l’Etat de la Paroisse d’Héricy par le Sieur Poisson de la Chabeaudière, commissaire ». Cet état concerne aussi Vulaines qui dépend encore à cette date administrativement d’Héricy. Il est exceptionnel car il correspond à un projet de réforme fiscale par le nouveau responsable des finances royales, le jeune duc Adrien-Maurice de Noailles.
Ce projet dit de « taille proportionnelle » se fonde sur une évaluation réelle des revenus des taillables. La taille était le principal impôt direct, dans la France du Nord elle était dite « personnelle » c’est-à-dire qu’elle devait être fonction des revenus du chef de famille, les collecteurs de chaque paroisse répartissaient le montant de la taille du village en fonction des revenus supposés de chaque famille, ce qui créait bien des injustices. Ce projet vise donc une évaluation réelle à partir d’une enquête sur le terrain, menée par un commissaire royal.
De l’enquête prévue sur 1500 paroisses de la région parisienne, 198 mémoires sont revenus, dont 20 pour des paroisses autour de Melun (Archives Nationales K 901 dont les Archives Départementales possèdent un microfilm 1Mi 3133). Ce projet très lourd administrativement, fut très vite abandonné, mais il nous reste ce mémoire. Il comporte une évaluation de la population, une étude de l’habitat et une enquête sur les revenus de l’agriculture et de « l’industrie », l’enquête étant faite foyer par foyer on peut souvent distinguer ce qui concerne Vulaines par rapport à Héricy.
La partie concernant Vulaines commence par décrire les propriétés et l’exploitation de Jean Taveau, vigneron (voir les images 1 et 2), puis suivent : Edme Taveau, carrier, Claude De Cour… et ainsi les noms des exploitants et des artisans. Puis la liste est reprise en donnant pour chacun l’estimation de son revenu (voir les images 3 et 4) le document donne aussi la liste de ceux qui ne sont pas soumis à la taille, clercs, nobles et officiers du roi.
Image 1
Jean Tavau vigneron possède comme tuteur de ses enfans et exploite par ses mains la quantité de trois arpens de bonnes terres, cy
La quantité de deux arpens de médiocres, cy
La quantité d’un arpent de médiocres vignes,cy
La quantité d’un quartier de moindres, cy
Plus possède une maison couverte de chaume de cinq travéesconsistant en deux chauffoirs, grange, etables qui peut etre loüée la somme de 10 livres
La quantité d’un demy quartier de jardin qui peut etre loüé la somme de 12 sous
Plus a en propre deux vaches, un asne
Image 2
Détail du document 3 permettant de comparer les revenus des vignerons, d’un carrier, d’un laboureur et du « Maistre d’Ecolle »
Image 3
page entière duquel le document 1 est extrait. Il permet de voir la fin des feux d’Héricy et le début de ceux de Vulaines, les colonnes de droite reprennent les surfaces cultivées pour en faire la somme, les valeurs locatives ne sont pas reprises.
Image 4
page entière des revenus des chefs de famille de Vulaines, duquel est extrait le document 2. La liste suit le même ordre que celui du document 3, le détail du revenu n’est précisé que lorsqu’il diffère de celui qui le précède.
Quelle image du village cette enquête nous donne-t-elle ?
Vulaines est un village de 39 « feux ». La population est comptée par « feux », unités de vie qui servent pour l’administration, un peu comme les foyers fiscaux actuels. On compte généralement 4 personnes par feu, mais en recoupant avec les registres paroissiaux je suis arrivé à 122 habitants, ce qui fait une moyenne de 3,1 personnes par feu. C’est bien peu, la population a diminué pendant la fin du règne de Louis XIV, l’enquêteur précise que Héricy (au sens large avec Vulaines) qui a 232 feux en 1717 en a perdu 30 depuis 1680. A titre de comparaison Avon n’en a que 150 et Fontainebleau un peu plus de 1000.
Vulaines loge ses 39 foyers dans 38 maisons, dont 6 seulement sont en location, les autres sont occupées par leurs propriétaires. On mesure leur taille en comptant les travées (espace entre 2 fermes de charpente ou un mur et une ferme), la maison de base comprend 2 à 3 travées, une pièce chauffée ou « chauffoir », l’écurie qui sert pour tous les animaux et la grange. On trouve 20 de ces maisons de 2 à 3 travées et 11 très petites avec seulement un chauffoir. Mais il y a aussi 4 maisons avec une ou deux chambres, ce sont le presbytère, la « ferme Chevrier » et les maisons de 2 vignerons Jean Taveau et Jean Songeux. Au-delà existent 3 grands bâtiments, le château mais qui n’a que 7 travées, alors que les « fermes » Moreau et Pelletier en ont 9 et 11. La location de cette dernière est estimée à 27 livres par an, alors que celle des petites maisons est estimée entre 2 et 4 livres. Les plus petites maisons sont des « chaumières » (21) alors que les plus grandes sont couvertes de tuiles (12) ou mixtes (5).
Comment se présente le terroir agricole ? Le terroir de Vulaines est de 817 arpents dont 129 arpents de vignes sur le coteau mais le plateau est occupé par 553 arpents de terres labourables, on trouve aussi 10 arpents de prés, 35 de bois taillis, 50 de friches sans oublier les 40 arpents occupés par les maisons et leurs jardins. Le revenu de ces terres dépend de leur qualité, dont le commissaire fait 3 classes ; le revenu annuel par arpent, va de 3 à 1 livre pour les labours, de 15 à 8 livres pour la vigne et de 25 à 5 livres pour les prés ! Mais ici les meilleurs prés sont très rares, par contre il faut souligner que le revenu des terres à vigne est bien supérieur à celui des terres labourables, à cause des jachères et du prix du vin. A noter qu’une partie importante de ce terroir n’appartient pas aux résidants, mais à des bourgeois de Fontainebleau, sans qu’on puisse préciser davantage pour le seul Vulaines. Les animaux d’élevage sont aussi comptés, on trouve 8 chevaux, 2 ânes, 7 porcs seulement, mais 260 brebis et moutons et 49 vaches !
Vulaines est un village de vignerons, d’ailleurs 1/3 des maisons ont une foulerie, pour presser le raisin. On trouve 15 familles dont le chef se déclare vigneron. Ce sont de tout petits exploitants propriétaires, en moyenne 2/3 d’arpent de vigne et ½ arpent de terre à céréales, il faut y ajouter le jardin attenant à la petite maison. De petits propriétaires certes et pourtant l’enquête estime que 12 vignerons sur 15 ont un revenu de 150 livres, car ils travaillent 200 jours par an (avec les dimanches et toutes les fêtes cela est un quasi maximum) à 15 sous par jour. Cela signifie qu’en plus de leurs terres ils exploitent d’autres propriétés ou travaillent sur les grandes exploitations, ici ou ailleurs. Mais ils tiennent à leur titre de vignerons.
Trois artisans tiennent boutique, un serrurier, un taillandier et un menuisier (il n’y a ni boulanger, ni boucher), le revenu de ces artisans est plutôt moindre que celui des vignerons. On trouve aussi 8 familles de carriers, c’est une spécialité locale qui s’explique par l’exploitation des rochers de grès. Par les registres de mariage on sait que certains carriers sont originaires du Limousin, ils ont fondé des familles en épousant des filles du village. C’est un métier dur et dangereux, leur surmortalité est repérable sur les actes paroissiaux. Ils ont un bout de terre et de vigne mais leurs revenus estimés sont très inférieurs à ceux des vignerons, 60 livres en moyenne, car ils travaillent moins longtemps à 10 sous par jour au maximum. De même pour les hommes à tout faire : 3 « chartiers » et 2 manouvriers. Restent 2 veuves et le maître d’école qui est très âgé. Pour eux le revenu est inférieur à 40 livres car ils travaillent peu et pour 7 ou 5 sous/jour seulement.
Viennent ensuite ceux « qui n’ont point de profession certaine, ny d’industrie marquée, ou qui sont tombés dans quelques malheurs, ou quelques infirmités considérables », pour Héricy et Vulaines, il y a 3 hommes et 14 femmes dont 11 veuves et 3 « filles », c’est-à-dire célibataires, parmi eux 3 infirmes dont une muette. Il semble difficile de séparer les pauvres d’Héricy de ceux de Vulaines.
A l’autre bout les notables. Le nouveau seigneur, Louis de Coste (voir rubrique précédente sur la seigneurie de Vulaines), « inspecteur des bâtiments du roy » donc officier royal et pour ce, exempté de la taille malgré les 88 arpents qu’il possède et qu’il exploite directement. Le curé, Jacques Lesage Delagerville, exempté lui aussi au titre du clergé, et qui gère les 560 livres de dîmes qui sont dues à la cure de Vulaines (rien ne dit qu’il n’ait pas à en reverser une grosse partie).
Entre ces notables et les paysans ordinaires, on trouve trois «laboureurs». Leurs propriétés sont moyennes (entre 3 et 10 arpents) mais ce sont de gros fermiers au sens propre du terme, ils exploitent les terres de propriétaires urbains, avec un contrat de fermage passé devant notaire. On les appelle laboureurs parce qu’ils possèdent un train de labour de 2 ou 3 chevaux. François Pelletier exploite 93 arpents, et a un troupeau de 100 brebis et 5 vaches, pour Pierre Moreau on trouve 105 arpents, 2 vaches et 100 brebis. Ils font du blé sur le plateau, ont quelques prés pour la bonne viande, le reste des moutons profitant des jachères. Leurs revenus ne sont pas ceux du travail, ils sont estimés à 250 livres au titre de leur activité commerciale, cela semble peu, mais les rendements sont faibles. Le troisième fermier est plus petit mais parent avec les deux autres (beaux frères).
D’autres éléments peuvent être extraits de cette enquête, mais le mélange des données entre Vulaines et Héricy, rend le travail incertain. Il donne cependant une réalité aux Vulaignots d’il y a bientôt 300 ans.
Serge CERUTI
Mesures de surface : un arpent est divisé en 100 perches carrées ou en 4 quartiers, à Vulaines on utilise l’arpent dit « des eaux et forêts », de 51 ares, donc en gros ½ hectare.
Monnaie : l’unité de compte est la livre, chaque livre se divise en 20 sous ou sols, et chaque sol en 12 deniers. Il est très difficile de calculer un équivalent en €, il faudrait comparer au prix des denrées, et leur consommation est très très différente !